#SilentSunday Colère et impuissance
Un tunnel mène à une petite place arborée. Au loin, une porte jette une lueur pâle. Sur la droite, le flâneur découvrira un cinéma en plein air…
L’été bouillant est revenu dans la cité, il s’est installé, a aspiré toute brise légère. Il nous prend à la gorge, nous suce l’air, nous assomme de bruit.
Je sortais de la FilmoTeca, il était presque 22 heures. La séance de 17 heures est idéale pour échapper à la canicule, celle de 20 heures nous épargne la soupe musicale des terrasses. Dans la grande salle Chomón, je venais de revoir un de mes films préférés : 12 Angry Men (Sidney Lumet · 1957 · 95') et une surprise pour ceux qui cliqueront sur le lien. Life is in their hands. Death is on their minds!, dit l’affiche. Il devrait être d’utilité publique de faire visionner ce long-métrage à tous les jurys populaires, particulièrement dans les pays qui infligent encore la peine de mort. Car ces douze hommes en colère, tous blancs, accablés par la chaleur torride de l’été new-yorkais, finiront par prendre conscience que tout n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Que, comme on dit souvent dans le milieu abolitionniste : He/She was saved not thanks to the system, but in spite of it. Que quand on éclaire les lieux, un ventilateur peut s’enclencher et faire circuler l’air et la raison. Un scénario claustrophobique qui suinte les préjugés et la morale à 10 cents. Je le disais : un de mes films préférés.
Le quartier du Raval était en fête, il y avait encore plus de monde et de bruit que d’ordinaire. Les gyrophares de la Guàrdia Urbana provoquaient les passants en jetant leurs éclairs bleus dans cette nuit naissante. Le pays est surchauffé par la finale de ce soir, le #SilentSunday ne vivra pas longtemps…
Plutôt que de traverser la Rambla, je choisis d’aller par des chemins détournés jusqu’aux Jardins de Walter Benjamin. De là, la balade se poursuivrait à vélo, en longeant la mer. Allais-je y plonger pour prolonger l’effet fraîcheur ? Je me souvins d’un petit passage couvert, qui unit le Carrer Nou de la Rambla aux Jardins de les Voltes d’en Cirés. C’est proche de la Plaça de Jean Genet, j’en profite toujours pour le saluer en pensant à son journal d’un voleur et à la belle escapade à Larache avec Hèdilya. Nous étions allés voir la tombe de l’écrivain dans le beau cimetière espagnol qui surplombe l’océan Atlantique…
Fugace réapparition de la claustrophobie alors que je parvins à l’entrée du tunnel ; j’ai failli ne pas prêter attention à la poésie du moment. Je suis toutefois revenu légèrement sur mes pas pour prendre une photo avant de m’engager dans le passage. À la sortie, des lueurs attirèrent mon regard. Entre les arbres, un écran de cinéma avait été tendu devant quelques rangées de chaises ; je compris qu’il s’agissait d’un film en arabe, malheureusement déjà bien entamé. Je m’assis tout de même. Je reconnus progressivement My Maysoon. Because Beloved Ones Never Leave (Batoul Karbijha · 2023 · 55') qui avait été présenté à la FilmoTeca dans le cadre de la Mostra de Cinema Àrab i Mediterrani de Catalunya 2023.
Le 24 août 2014, Maysoon Karbijha, 20 ans, a disparu en mer Méditerranée. Elle se rendait de Syrie en Europe lorsque son bateau a chaviré. Sur les 712 personnes à bord, 352 ont été sauvées, 24 corps ont été retirés de l’eau par la marine italienne, et environ 170 autres personnes sont portées disparues depuis lors. Maysoon est l’une d’entre elles. La recherche de Batoul la met sur une piste qui mène de la Sicile à la Libye en passant par la Tunisie, et la confronte à des cimetières remplis de migrants disparus, dans un labyrinthe d’ignorance, d’indifférence et d’impuissance.
Entre les arbres, quelques hommes n’ont pas osé ou désiré s’assoir. Ils regardent le film de loin, certains hochent tristement la tête…
Clic, la photo #SilentSunday est toute trouvée…
#SilentSunday Colère et impuissance © 2024 Gilles Denizot